Prévention : identification des facteurs de risque, des signes d’alerte et des éléments déclencheurs
Cette vidéo présente les signes d’alerte précoce, les facteurs de risque et les déclencheurs des atrocités de masse.
Cette vidéo est disponible en anglais avec des sous-titres en français.
Transcript
- [Narrateur] Pour beaucoup, le terme d’atrocités de masse évoque des massacres de personnes ordinaires, qui sont perpétrés à grande échelle et semblent survenir sans prévenir. Ces crises attirent souvent l’attention du public après que des violences extrêmes et de nombreux morts aient été signalés, ce qui laisse à penser que les atrocités de masse sont inévitables. Cependant, les études ont montré que ces crises s’accompagnent presque toujours d’éléments précurseurs. Elles constituent d’ailleurs l’aboutissement d’une série de facteurs de risques, de signes d’alerte et d’éléments déclencheurs que l’on est en mesure d’identifier et de détecter à une échelle globale.
- [Scott Straus] Il me semble que nous sommes en mesure de repérer de manière très précise les 10 pays (parmi un ensemble de 190 pays) où les conditions sont réunies pour qu’un épisode d’atrocité de masse survienne. Cette violence-là est intentionnelle, délibérée et stratégique. Elle requiert un engagement certain et un haut degré d’organisation. Elle ne survient pas du jour au lendemain, mais se construit au fil du temps.
- [Narrateur] Une accumulation de facteurs de risques, de signes d’alerte et d’éléments déclencheurs peut indiquer qu’une société se trouve sur une pente dangereuse. Par ailleurs, les conditions associées aux risques et aux signes d’alerte – par exemple, présence de tensions, de polarisation et de crimes restés impunis – peuvent également persister pendant et après des atrocités de masse. Pour se représenter la relation entre facteurs de risque, signes d’alerte et éléments déclencheurs, on peut utiliser l’analogie du feu : les facteurs de risque constituent les conditions sous-jacentes, autrement dit le bois. Les signes d’alerte représentent les conditions nécessaires à une intensification des violences, que l’on pourrait comparer au combustible. Enfin, les éléments déclencheurs, soit les événements qui vont faire brutalement dégénérer la situation, peuvent être comparés aux allumettes. Il faut noter qu’il n’est pas possible de prévoir de manière scientifique la survenue d’atrocités de masse, génocide compris. Chaque situation est différente et est associée à un ensemble de causes et de conditions qui lui sont propres. Selon le contexte, certains facteurs compteront plus que d’autres. Il est donc important d’avoir une connaissance approfondie du milieu en question. Il n’en reste pas moins que la recherche et l’étude d’épisodes d’atrocités de masse ont mis en évidence certaines tendances.
- [Scott Straus] En effet, c’est en analysant de manière rétrospective différentes situations que l’on peut voir se dessiner des facteurs communs. Ce qui me frappe, c’est que bien souvent, les gens qui sont plongés dans une situation donnée ne perçoivent pas ces signes d’alerte, le cas échéant. On observe également, à nouveau, un processus d’intensification où la violence est tolérée, encouragée et acceptée.
- [Narrateur] Dans un premier temps, les facteurs de risque représentent le combustible qui va mettre le feu au bois. Ce sont des éléments d’ordre plus global, que l’on peut généralement mesurer à l’échelle d’un pays. Certains d’entre eux peuvent persister ou évoluer lentement, par exemple, la taille de la population ou le revenu national, tandis que d’autres peuvent évoluer sur une période donnée liée, par exemple, à des conditions économiques ou à une guerre. Les atrocités de masse qui ont eu lieu au Darfour illustrent bien le lien entre facteurs de risque et atrocités de masse. Entre 2003 et 2005, des millions d’habitants ont dû fuir. Au moins 200 000 personnes ont été tuées ou sont mortes dans des attaques perpétrées par l’armée soudanaise et des milices soutenues par le gouvernement.
- [Narrateur] Dans cet exemple, une guerre civile était en cours. L’idéologie d’exclusion mise en place par le parti au pouvoir a poussé les élites à commettre des exactions contre les populations non arabes, considérées comme ne faisant pas partie intégrante du pays. Par ailleurs, des violences avaient déjà été commises au sud du pays, sans qu’aucune responsabilité n’ait été établie. Les facteurs de risque qui ont joué un rôle clé dans le cas du Darfour sont les suivants : instabilité à grande échelle, idéologie d’exclusion, discriminations antérieures et violences perpétrées envers un groupe particulier et restées impunies. Au sein de la recherche, certains facteurs de risque d’ampleur globale suscitent des débats, notamment parce que ces conditions peuvent être présentes même en l’absence d’atrocités de masse. On peut notamment citer la présence de haines anciennes, d’un gouvernement potentiellement violent, d’autoritarisme et de crises économiques.
Les signes d’alertes surviennent juste avant un épisode d’atrocités de masse. Ils peuvent accentuer des facteurs de risque préexistants et ayant une ampleur globale. Autrement dit, ils peuvent alimenter le feu – ils font office d’accélérateur. Cette liste ne présente que quelques-uns des signes d’alerte potentiels : tension et polarisation au sein des groupes, discours public apocalyptique de la part des leaders, groupes civils désignés comme « ennemis », développement et déploiement de forces armées irrégulières, stockage d’armes, mesures législatives d’urgence ou discriminatoires ; mise à l’écart des modérés dans la fonction publique, impunité des crimes antérieurs.
Dans le cas de la Shoah, nombre de ces signes d’alerte se manifestent dans les années 1930 en Allemagne. Ils font écho à d’autres facteurs de risque ayant fait leur apparition au cours de la décennie précédente, voire plus tôt. La propagande nazie ne fait qu’amplifier des comportements antijuifs déjà établis et encourage les persécutions menées contre la population juive en les dépeignant comme une menace pour la société allemande, menace qu’il faut éliminer. Les Nazis publient donc des centaines de lois qui visent à priver les Juifs de leurs droits les plus fondamentaux, limitant notamment leur liberté de circulation.
Les Nazis instituent également leurs propres groupes paramilitaires, qui permettent à Hitler d’accéder au pouvoir et participent aux violences antisémites durant toute la période nazie.
- [Scott Straus] On constate donc une dynamique d’escalade de la violence envers la population juive. On retrouve cette dynamique dans d’autres génocides, pas nécessairement sous la même forme, mais on retrouve la même mise à l’écart d’un groupe ciblé, une polarisation, des discriminations et des violences qui annoncent des campagnes de persécution à grande échelle.
- [Narrateur] Enfin, les éléments déclencheurs sont des événements susceptibles d’engendrer une nette intensification des violences. On peut les comparer à l’allumette qui vient allumer le feu. On peut notamment citer comme exemples des assassinats de personnes haut placées ou des tentatives de coup d’État, une évolution dans la dynamique de conflit, une répression sévère de manifestations civiles, ou bien des attaques à forte portée symbolique visant des individus ou des lieux. Pris individuellement, ces événements n’enclenchent pas automatiquement des violences, mais c’est l’association de facteurs de risque et de signes d’alerte qui renforce la probabilité de violences. Les perpétrateurs utiliseront un élément déclencheur, réel ou inventé, pour justifier des exactions qui serviront leurs objectifs stratégiques ou leur idéologie. L’exemple du Rwanda, avec l’incident d’avril 1994, en est une bonne illustration. Le 6 avril, l’avion qui transporte le président hutu du Rwanda, Juvenal Habyarimana, est abattu. On ne connaît pas les responsables, mais le gouvernement intérimaire qui prend le pouvoir après l’attentat accuse les rebelles tutsis et s’en prend aussitôt aux civils tutsis. Dans ce cas, c’est donc le meurtre du président rwandais qui a intensifié une crise déjà en place et a affaibli un cessez-le-feu déjà fragile, établi en 1993. Le génocide contre les civils tutsis est alors lancé.
- [Scott Straus] Le Rwanda a connu bon nombre des facteurs de risque qui mènent au génocide. Une guerre civile était en cours. Une longue tradition nationaliste faisait de la population tutsie des citoyens de seconde zone. De même, les signes d’alerte sont multiples : stockage d’armes, formation de groupes paramilitaires, évolution des discours et polarisation. L’attentat mené contre le président rwandais vient changer la dynamique du conflit. En conséquence, de nombreux Rwandais se radicalisent et se montrent beaucoup plus disposés à tolérer la violence contre les Tutsis, à l’organiser ou à l’accepter.
- [Narrateur] On entend souvent que les atrocités de masse se déclenchent subitement et échappent à tout contrôle. Mais en analysant ces épisodes, génocides compris, on voit qu’elles ne sont jamais spontanées. Au contraire, elles sont toujours annoncées par tout un éventail de signes d’alerte. En intervenant rapidement pour minimiser ces risques, on peut gagner en efficacité et réduire le coût des programmes et des politiques de prévention. Dans les États et les sociétés susceptibles de subir des atrocités de masse, une intervention rapide permet également aux leaders et aux groupes ciblés de réduire ces risques.
Plus on en sait sur le risque d’atrocités de masse, plus il est probable que l’on puisse identifier comment appliquer des mesures de prévention et ainsi, sauver des vies et des communautés entières.