One Story of Many: témoignage de Wai Wai Nu
Dans cette vidéo, Wai Wai Nu décrit les interactions qu’a eu sa famille avec le système de justice pénale à Burma, qui ont conduit au génocide des Rohingya en 2017.
Cette vidéo est disponible en anglais avec des sous-titres en français.
Transcript
- [Wai Wai Nu] Là où je suis née, dans l’État de Rakhine, en Birmanie/au Myanmar, de nombreuses communautés ethniques, surtout les communautés bouddhistes et musulmanes, cohabitent depuis des générations, depuis des milliers d’années.
Tout a commencé en 1962, quand un général du nom de U Ne Win a fomenté un coup d’État. Dans l’État de Rakhine, sa stratégie a consisté à diviser pour mieux régner. Par la suite, des chefs militaires ont ciblé les Rohingyas en leur imposant toutes sortes de mesures, de politiques et de lois discriminatoires, comme celle sur la citoyenneté, selon laquelle il faudrait avoir la nationalité birmane pour être considéré citoyen.
De ce fait, par défaut, les Rohingyas qui étaient jusque-là des citoyens, qui faisaient partie de ses populations indigènes, sont automatiquement devenus des non-citoyens. Autrement dit, l’armée a recouru au discours populiste voulant que les Rohingyas soient trop nombreux le nord de l’État de Rakhine, étant donné qu’ils s’y étaient installés illégalement lorsqu’ils avaient émigré du Bangladesh au Myanmar. À partir de ce discours, l’armée a tenté d’effacer notre identité, notre histoire, notre culture, notre peuple et tout le reste.
Depuis, les deux communautés ne se comprennent pas et ne se font pas confiance.
Quand j’ai terminé mes études à l’école primaire, ma famille a déménagé à Rangoon, la capitale de la Birmanie. À l’époque, au début des années 90, dans l’État de Rakhine, on commençait à renvoyer tous les fonctionnaires. Avant, nous avions pourtant des juges, des avocats, des médecins, des gouverneurs, des policiers, mais ils ont renvoyé tout le monde, ils ont purgé l’administration publique de toute présence rohingya. À partir de là, les administrations locales et les forces de l’ordre se sont mis à sanctionner les Rohingyas, dans leur vie quotidienne et leurs activités. Les gens étaient arrêtés sous de fausses allégations, et puis on ne les revoyait plus, des gens se faisaient tuer en prison.
Au début du génocide, notre communauté ne s’est pas rendu compte de ce qu’il était en train de se passer, et nous étions incapables de documenter toutes ces situations. Moi, comme mon père était un responsable politique, j’étais au courant de toutes ces histoires.
Les gens lui racontaient que leurs filles avaient été violées par des policiers ou par des soldats, et que des gens avaient été tués. À force d’entendre toutes ces histoires, je me suis dit, si j’étudie le droit, je pourrai rendre justice à tous ces gens. Alors, parce que j’avais été au lycée à Rangoon, j’ai pu être admise à la faculté de droit.
Au cours de ma deuxième année, mon père, ma mère, ma sœur, mon frère et moi avons été arrêtés. Je venais d’avoir 18 ans. Mon père a été condamné à 47 de prison, le reste de ma famille et moi-même à 17 ans. De toute évidence, c’était parce que nous étions rohingyas. Nous avons été accusés d’avoir déménagé de Rakhine à Rangoon sans autorisation. La juge n’a tenu compte de rien de ce que nous avons dit. Elle avait déjà rédigé son verdict, et nous n’avons pas eu le droit de faire appel.
Je me souviens qu’un avocat que connaissait mon père est venu nous représenter. Mais il n’a même pas été autorisé à entrer dans le tribunal ni même dans l’enceinte du tribunal. À l’époque, avec le régime militaire, on faisait ce que le régime disait et ce qu’il décidait. En fait, lorsque nous avons témoigné, le greffier et la juge auraient dû noter tout ce que nous disions, mais ils ont décidé de ne pas le faire. Ce n’étaient pas les dispositions législatives les manuels qui posaient un problème. Mais en fait, c’est parce que nombre des pratiques discriminatoires n’y figuraient pas. Des ordres secrets circulaient au niveau local. C’est pour cela que je n’étais pas en mesure de me rendre compte de la situation en me basant uniquement sur les dispositions législatives.
Ma famille et moi avons été libérés en 2012, après presque 7 ans, grâce à l’amnistie présidentielle. Nous n’avons pas subi de tortures graves en prison, mais on nous a refusé l’accès aux soins, et nous avons subi des tortures morales.
Si c’était dans l’État de Rakhine que nous avions été incarcérés, nous aurions peut-être déjà perdu des membres de notre famille.
En 2012, lorsqu’a été mise en place la soi-disant « transition politique », l’armée s’est mise à attiser la haine et diffuser la propagande de manière plus active, notamment grâce aux réseaux sociaux, aux journaux, et à tous les moyens dont ils disposaient. Les juges, les procureurs, la police, tous publiaient des discours de haine sur Facebook.
En 2017, nous avons assisté à des attaques de bien plus grande ampleur contre les Rohingyas. Des milliers de gens ont été tués, des femmes violées, des enfants massacrés. Environ 400 villages ont été incendiés.
Avant 2012, il y avait toutes sortes de signes d’alerte : des expulsions d’ONGI [organisations non gouvernementales internationales], des déploiements de forces armées dans l’État de Rakhine, des confiscations d’objets (même des couteaux) chez les Rohingyas, des confiscations de clôtures autour de leurs maisons pour leur enlever toute intimité, rendant ainsi notre communauté de plus en plus vulnérable. Malgré tout cela, ni le pays ni la communauté internationale n’ont agi.
Le génocide contre les Rohingyas n’aurait pas été possible si le système judiciaire pénal, et le système judiciaire en général, n’avaient pas été impliqués.
L’histoire de ma famille n’est pas unique, il y en a des milliers et des milliers d’autres parmi les Rohingyas.