NOTE D'ORIENTATION: LES RISQUES D'ATROCITÉS DE MASSE AU CAMEROUN
Juin 2020
Kyra Fox est assistante de recherche au Centre Simon-Skjodt pour la prévention des génocides. Andrea Gittleman est cheffe de projet au Centre Simon-Skjodt pour la prévention des génocides. Traductrices : Nadia Gabriel et Laurence Ibrahim Aibo
Ce rapport est disponible en anglais.
RÉSUMÉ
Dans les régions anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest du Cameroun, les civils sont exposés à des risques immédiats d'atrocités de masse en raison de la crise politique née de la marginalisation, réelle et perçue, qu'exerce le gouvernement sur les droits linguistiques et culturels des anglophones ainsi que sur leur identité.
Le Cameroun se situe actuellement au 9e rang des pays à risque de massacres de masse du classement « Statistical Risk Assessment » (Évaluation du risque statistique) effectué par le Centre Simon-Skjodt. La situation s'est nettement dégradée depuis 2017, année où le pays se situait à la 36e place. C'est plus tôt, fin 2016, que les Anglophones soi-disant marginalisés par le gouvernement à majorité francophone se mettent à organiser des protestations de civils. Les forces de sécurité nationales réagissent avec violence et auraient arrêté, frappé et abattu des manifestants. S'ensuivent des affrontements avec les forces de sécurité, au cours desquels plus de 20 personnes auraient été tuées en 12 jours dans les manifestations essentiellement pacifiques de septembre et octobre 2017. Peu après, les séparatistes anglophones entament leur combat indépendantiste pour le territoire qu'ils appellent Southern Cameroons, ou Ambazonie.
Cette crise est le fruit d'anciennes revendications politiques dans la communauté anglophone. Aujourd'hui, en raison des combats opposant les deux camps, il est difficile de discerner les motivations de chacun. D'un côté, les forces de sécurité prétendent cibler les civils anglophones accusés de soutenir les séparatistes — on ne sait pas vraiment si leur identité linguistique et culturelle est également visée ; d'un autre côté, les séparatistes armés, qui disent représenter la population anglophone, viseraient les civils qui, selon eux, soutiennent le gouvernement.
Depuis 2017, la crise a engendré :
La mort de plus de 3 000 Camerounais.
Environ 700 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays et près de 60 000 réfugiés au Nigéria voisin.
Le besoin d'aide humanitaire pour près de deux millions de Camerounais, soit 15 fois plus qu'en 2017.
Le ciblage de civils par les forces de sécurité de l'État et les groupes séparatistes armés anglophones.
Avec un gouvernement déterminé à obtenir une victoire militaire et des séparatistes armés qui tiennent à l'indépendance, il n'existe a priori pas de voie claire vers une résolution pacifique et négociée de la crise. Tant que cette situation persiste, les civils courent le risque immédiat d'atrocités de masse.
Cette note d'orientation propose une vue d'ensemble des risques d'atrocités de masse dans les régions anglophones du Cameroun et offre des recommandations au gouvernement camerounais, aux groupes séparatistes armés et aux acteurs internationaux dans le but d'empêcher les atrocités et de protéger les civils.
CONTEXTE
La crise dans les régions Nord-Ouest et Sud-Ouest du Cameroun est le résultat de décennies de revendications soutenues de la part de citoyens anglophones. Ceux-ci constituent 20 % de la population dans un pays majoritairement francophone. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les puissances coloniales française et britannique se voient partager l'ancien territoire allemand du Kamerun qui est ensuite placé sous mandat franco-britannique, marquant la formation de deux régions, francophone et anglophone, politiquement et culturellement distinctes. Le pays sous tutelle française obtient l'indépendance en 1960. L'année suivante, par l'intermédiaire d'un référendum, l'Organisation des Nations Unies (ONU), ne donne au Cameroun Nord et au Cameroun Sud aucune possibilité d'indépendance. Le premier s'intègre au Nigéria tandis que le second rejoint la République du Cameroun, qui deviendra la République fédérale du Cameroun.
Sous le nouveau système fédéral, les Anglophones se voient garantir une certaine autonomie institutionnelle. En revanche, dix ans plus tard, le gouvernement francophone abolit le fédéralisme et renomme le pays « République unie du Cameroun ». Sont alors mises en place des politiques qui marginaliseront les régions anglophones, tant économiquement que politiquement, au cours des quatre décennies suivantes.
En octobre 2016, enseignants et avocats anglophones manifestent contre l'imposition d'un personnel de langue française dans les écoles anglophones et la « francisation » du système juridique de Common Law. La mobilisation s'amplifie le mois suivant et les forces de sécurité réagissent apparemment violemment, ce qui vient alimenter le nationalisme anglophone et entraîne des affrontements entre les deux camps. Dans un premier temps, le gouvernement tente des négociations avec les avocats et les enseignants, mais, en janvier 2017, celles-ci échouent et des responsables d'associations sont arrêtés. Le 1er octobre 2017, un mouvement séparatiste de plus en plus militant déclare l'indépendance d'une « Ambazonie » anglophone. C'est le début de violents conflits qui vont s'intensifier jusqu'à nos jours(i) entre séparatistes armés et forces de sécurité de l'État, auxquels viennent s'ajouter des milices pro-gouvernementales.
ATROCITÉS ET VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS
Selon les experts, les attaques perpétrées par les forces de sécurités et les séparatistes pourraient s'élever au rang de crimes contre l'humanité(ii). Tout en violant leur devoir de protection des civils, les forces de sécurité camerounaises sont en train de mener une campagne contre ceux qui, d'après elles, soutiennent les séparatistes. Elles ont été accusées de procéder à des arrestations, détentions et tortures arbitraires, de tirer aveuglément dans des foules, de tuer des habitants après avoir pénétré de force chez eux, ainsi que de mener des rafles au cours desquelles des villageois sont abattus. Leurs tactiques de la « terre brûlée » consistant à incendier et à raser des villages soupçonnés d'abriter des séparatistes se seraient soldées par plus de 200 villages pillés ou partiellement détruits. Les violences sexuelles seraient généralisées. D'après des témoins civils, ces attaques font fréquemment office de représailles contre les actions de séparatistes armés. De l'avis de certains experts, il pourrait s'agir d'une stratégie visant à mettre fin à la crise en épuisant les populations, de sorte qu'elles cessent de soutenir les séparatistes. Au cours de l'un des massacres les plus meurtriers, les forces de sécurité et la milice alliée Fulani auraient tué au moins une vingtaine de personnes, dont au moins 13 enfants, soupçonnés d'abriter des séparatistes dans le village de Ngarbuh, dans la région Nord-Ouest du Cameroun, en février 2020(iii).
Parallèlement, les séparatistes armés ont été accusés d'attaquer et de tuer les civils qu’ils perçoivent comme étant associés avec le gouvernement ou des sympathisants de ce dernier. Les séparatistes auraient brutalement attaqué, abattu, harcelé et kidnappé des élèves, des enseignants et des administrateurs qui se rendaient dans leur établissement pour leur faire observer le boycott scolaire dans les régions anglophones. Celui-ci, qui selon certains experts viserait à rendre la région ingouvernable et ainsi recueillir une reconnaissance politique, est entré dans sa troisième année, même si certaines écoles auraient rouvert dans les capitales régionales de Bamenda et de Buea. À cause de ces fermetures, plus de 855 000 enfants ne sont plus scolarisés depuis 2017, d'après l'UNICEF. Ici encore, les séparatistes sont accusés de torture, d'incendies, de kidnapping ainsi que d'enlèvements et d'attaques contre les chefs traditionnels accusés de soutenir le gouvernement. Ils visent des entreprises publiques et locales, brûlent des écoles et transforment les classes en bases militaires.
À de nombreuses reprises, le gouvernement aurait imposé des coupures internet, menacé des journalistes et restreint l'accès aux chercheurs indépendants afin de détourner l'attention portée à la crise. Ces mesures, ajoutées aux menaces que posent les séparatistes armés, ont eu pour effet de limiter les communications sur les attaques et de générer de l’incertitude quant à l'ampleur de la crise.
RÉACTIONS
Le gouvernement et les séparatistes nient bon nombre des violations signalées, chaque camp semblant peu enclin à faire des concessions tangibles, qui pourraient mener à un vrai dialogue. En septembre 2019, le président camerounais Paul Biya lance cependant un dialogue national sur cinq jours consacré à la crise anglophone. Les dirigeants séparatistes refusent d’y participer, sous prétexte que le gouvernement camerounais n’a pas tenu compte de leurs conditions de participation, qui comprenait une médiation dans un lieu extérieur et la prise en compte de leurs conditions de séparation. Si le dialogue s'est conclu par une série de recommandations et la libération de centaines d'activistes, dont l'éminent chef de file de l'opposition Maurice Kamto, il n'a pas su résoudre la crise anglophone. En décembre 2019, le gouvernement adopte une législation mettant en place un statut spécial pour les régions anglophones dans le cadre d'une loi de décentralisation omnibus. Ce statut est rejeté par les séparatistes et d'autres groupes anglophones, car il ne répondait pas à leurs attentes ni même aux revendications fédéralistes. Les efforts de médiation menés par la Suisse dès juin 2019 ne donnent que des résultats limités. En avril 2020, sous les feux d'une intense pression internationale, le gouvernement camerounais publie un communiqué suite auquel il admettra que des soldats ont bel et bien tué des civils au cours du massacre de Ngarbuh. Ce geste constitue une étape importante dans la responsabilisation des parties prenantes, même s’il ne se substitue pas à l’effort global devant être déployé pour résoudre la crise.
Depuis 2019, le gouvernement américain répond à la situation camerounaise en prenant un nombre de mesures essentielles, notamment : le retrait de l'aide militaire, la réduction de l'assistance en matière de sécurité(iv), la fin des préférences commerciales données au pays dans le cadre de l'AGOA (African Growth and Opportunity Act), et la demande d'une enquête indépendante sur le massacre de Ngarbuh. Une délégation du Congrès américain se rend au Cameroun en juillet 2019, et des membres de ce même Congrès proposent une résolution appelant au dialogue et à la fin des violences. Elle est adoptée à la Chambre des Représentants puis est présentée au Sénat.
Si les États-Unis ont agi de manière efficace pour donner suite aux actions du gouvernement ciblant des civils, ces premières mesures ne peuvent pas remplacer des initiatives régionales ou multilatérales ni une pression exercée sur les deux camps pour encourager un processus global de dialogue et de délibération. L'absence d'un engagement soutenu et prioritaire de la part de l'ONU, de l'Union africaine (UA) et de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC) diminue l'impact positif des actions ponctuelles d’États individuels. Le Cameroun ne fait pas partie des enjeux à l'ordre du jour au Conseil de sécurité de l'ONU. À l'exception d'une réunion en format Arria en mai 2019 sur la situation humanitaire, celui-ci y a à peine prêté attention. En février 2020, Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) demande une enquête indépendante sur le massacre de Ngarbuh. Le Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide en fera de même. Quant à l'UA, elle reste relativement discrète, mais a apporté son soutien aux efforts de la médiation suisse. Elle a également formé une mission tripartite avec le Commonwealth et l'Organisation Internationale de la Francophonie visant à contenir la violence au Cameroun. Celle-ci ne s'est cependant rendue dans aucune des villes anglophones où la crise persiste.
RISQUES À VENIR D'ATROCITÉS DE MASSE
Depuis la fin de 2019, la crise anglophone du Cameroun semble avoir entamé une nouvelle phase, avec davantage d'attaques envers les civils. Plus la crise persistera, plus les civils seront touchés. Actuellement, le plus gros risque pour les civils est que la crise s'éternise, car les deux camps se refusent à rechercher une solution politique et la capacité des groupes séparatistes à commettre des violences augmente. Par ailleurs, si le président Biya actuellement en exercice venait à décéder au cours de son mandat, son décès pourrait également engendrer une instabilité et exacerber la crise.
Les événements suivants exacerbent les risques d'atrocités de masse :
1. AUGMENTATION DES EXACTIONS PAR LES FORCES DE SÉCURITÉ ET LES SÉPARATISTES.
Au cours des mois qui suivent les élections législatives et municipales de février 2020, les séparatistes et les forces de sécurité lancent une vague d'attaques sans précédent contre des civils. Les séparatistes s'en prennent à des candidats et des électeurs qui participent à ce qu'ils appellent un « simulacre d'élections ». Au lieu de protéger les citoyens, les forces de sécurité incendient plusieurs villages et assassinent des dizaines de gens, notamment au cours du massacre de Ngarbuh. Il est difficile de prévoir les répercussions qu'aura la pandémie de COVID-19 sur cette montée de violence. On peut envisager qu'elle détourne l'attention de la crise anglophone et laisse libre cours aux exactions contre les civils.
2. DIVISION DU MOUVEMENT SÉPARATISTE.
Il n'existe pas un seul mouvement séparatiste unifié, mais plutôt une série de groupes de plus en plus distincts et mal organisés. Certains s'affrontent même entre eux, et leurs attaques contre les civils se feraient de plus en plus brutales. Pour les forces de sécurité, le prétexte est alors tout trouvé pour intensifier les violences contre les groupes séparatistes ainsi que les civils accusés de les accueillir ou les héberger au sein de leur communauté. On ne peut que difficilement déterminer le degré de contrôle exercé par les chefs de file séparatistes de la diaspora sur les groupes armés sur le terrain.
3. DES GROUPES SÉPARATISTES MIEUX ÉQUIPÉS ET MIEUX PRÉPARÉS.
Pour remplacer les fusils de chasse improvisés et produits sur place qu'ils utilisaient au début de la crise, les séparatistes auraient pris des armes plus sophistiquées aux forces de sécurité camerounaises et en auraient fait venir d'autres en contrebande depuis le Nigéria. Récemment, il a été signalé que les séparatistes fabriquent leurs propres bombes et improvisent des engins explosifs. Selon certains experts, il est également possible qu'ils aient mis en place des camps d'entraînement au Nigéria. Jusque‑là, les acteurs extérieurs n'étaient pas disposés à financer un mouvement fragmenté, même si on dit que certaines communautés de la diaspora auraient collecté des fonds pour fournir des armes aux séparatistes. Si les groupes parviennent à bien mieux s'équiper, s'entraîner et se financer, leurs attaques pourront être mieux organisées et causer plus de dégâts tant chez les civils que les forces de sécurité. Celles-ci pourraient à leur tour mettre les bouchées doubles et s'en prendre de plus belle aux séparatistes et aux civils. D'autre part, selon certaines allégations, les séparatistes ont récemment mené des attaques en dehors des régions anglophones. Si la participation des séparatistes à ces attaques est prouvée, cela signifierait qu'ils sont capables d'exercer leur force au-delà des territoires habituels, ce qui pourrait engendrer la progression et l'intensification des violences, mettant en danger davantage de civils (dont des déplacés internes anglophones venus s’installer dans la région francophone voisine).
4. DES FORCES DE SÉCURITÉ ENHARDIES PAR L’IMPUNITÉ AMBIANTE, ATTAQUANT SANS MERCI LES CIVILS.
Alors que la crise persiste et que les forces de sécurité sont exonérées de toute responsabilité, celles-ci mènent des attaques de plus en plus brutales contre des civils—certains lieux auparavant réputés sûrs comme des hôpitaux, des établissements sanitaires et les palais de chefs traditionnels seraient touchés également. La violence accrue de certains groupes séparatistes encourage les forces de sécurité à agir en toute impunité.
5. DANS LES DEUX CAMPS, REFUS DES CONCESSIONS NÉCESSAIRES À UNE SOLUTION POLITIQUE.
Les Camerounais anglophones penchent de plus en plus pour un appel commun à l'indépendance. C'est essentiellement à cause des réactions tièdes du gouvernement envers leurs revendications que nombre d'anglophones qui étaient disposés à étudier une solution fédéraliste au début de la crise n'envisagent aujourd'hui rien d'autre que l'indépendance. Entre-temps, le gouvernement camerounais est déterminé à obtenir une victoire militaire sur les séparatistes. À la fin de 2019, le président Biya a réitéré son engagement à utiliser une force armée contre eux, même si la communauté internationale reconnaît qu'une solution politique est nécessaire pour répondre à la crise. Le gouvernement refuse de faire des concessions significatives sur des revendications clés anglophones, comme l'autonomie politique et le constat d'inégalités historiques et structurelles. Face à des groupes séparatistes dotés d'un armement de plus en plus sophistiqué, adopter une solution militaire ne fera que prolonger la crise.
6. RISQUE DE VIDE POLITIQUE EN CAS DE DÉCÈS OU DE DÉPART DU PRÉSIDENT VIEILLISSANT, CE QUI DÉSTABILISERAIT D'AUTANT PLUS LES RÉGIONS ANGLOPHONES.
Malgré sa santé fragile, le président Biya, 87 ans, se maintient fermement au pouvoir depuis 1982. Il n'a pas réussi à préparer un successeur à une transition politique pacifique. Une fin de règne abrupte pourrait entraîner un cafouillage politique chaotique et éventuellement violent qui pourrait exacerber encore davantage la crise anglophone. Il est fort probable que les séparatistes profiteraient du vide politique pour multiplier les attaques. Le Bataillon d'intervention rapide (BIR), les forces de sécurité d'élite camerounaises soi-disant fidèles à Biya, pourraient alors intensifier leurs attaques contre des civils, et ce sans retenue. D'un autre côté, un glissement de pouvoir pourrait également apporter du sang neuf et un nouvel élan vers une négociation pour résoudre la crise.
7. DES MANIFESTATIONS PUBLIQUES METTANT LE FEU AUX POUDRES.
Les histoires circulant à propos des jours fériés et des manifestations publiques comme les élections—notamment l'idée qu'il peut y avoir des journées nationales dédiées à un scrutin « libre et transparent » en pleine crise anglophone—ont longtemps suscité l'indignation chez les séparatistes, les amenant à imposer l'état d'urgence. Cette mesure est souvent un prétexte à plus d'exactions contre les civils, comme au cours de la période qui a précédé les élections en février 2020. Même si la plupart des manifestations publiques ont été annulées en raison de la pandémie de COVID-19, comme la fête nationale camerounaise du 20 mai, d'autres événements pourraient déclencher des violences si le gouvernement ne fait pas les efforts nécessaires pour encourager le dialogue entre toutes les parties.
ORIENTATIONS ENVISAGEABLES
Les revendications anglophones sont anciennes et bien enracinées. Résoudre la crise nécessite un engagement de bonne foi de la part du gouvernement pour aborder directement les griefs de fond, ainsi que la bonne volonté des séparatistes à s'asseoir à la table des négociations.
POUR LE GOUVERNEMENT DU CAMEROUN
Faire cesser les actions des forces de sécurité de l'État contre les civils.
Adopter un processus de médiation crédible qui donnerait la parole aux groupes armés, à la société civile, et aux communautés anglophones touchées.
Mettre fin aux discriminations contre les Anglophones et inclure leurs chefs de file et les communautés touchées dans des discussions qui encourageraient une représentation adéquate des écoles, tribunaux et autres infrastructures civiles de la région.
Mener une enquête crédible sur toutes les exactions soutenues par l'UA et/ou l'ONU. Elle pourrait inclure un bureau véritablement indépendant pour étudier toutes les atrocités perpétrées. S'assurer que leurs auteurs, tant dans le camp gouvernemental que séparatiste soient tenus pour responsables conformément aux normes juridiques internationales.
Faire bénéficier les organisations humanitaires d'un meilleur accès aux régions anglophones.
POUR LES GROUPES SÉPARATISTES ARMÉS ANGLOPHONES ET LEURS CHEFS DE FILE CIVILS
Ne plus prendre les civils pour cible et, si le gouvernement était amené à déclarer un cessez‑le‑feu, mettre fin à toutes les hostilités contre les institutions gouvernementales et les personnes qui y sont associées.
Mettre fin à la fermeture des écoles qui perdure depuis des années dans les régions anglophones.
Adopter un processus crédible de médiation incluant les représentants de la société civile et les communautés anglophones touchées.
Coopérer avec tout éventuel mécanisme d'investigation international chargé de recueillir des informations dans les zones anglophones.
POUR LES GOUVERNEMENTS ÉTRANGERS
Mettre en place une évaluation des risques d'atrocités ainsi que des stratégies de prévention et d'apaisement qui :
Soutiendraient le gouvernement et les séparatistes et les encourageraient à accueillir une aide extérieure dans le cadre d'un processus de médiation crédible.
Veilleraient à ce qu'aucune assistance militaire ne soutienne, directement ou indirectement, les violences perpétrées contre les civils. L'assistance en matière de sécurité serait conditionnelle aux progrès tangibles du gouvernement camerounais en matière de protection des civils, d’examen des violations des droits humains et de soutien à l’obligation de rendre compte de ces crimes.
Mettraient en place une enquête officielle sur les atrocités commises au Cameroun à l'aide du Conseil de sécurité de l'ONU, de l'Assemblée générale, du Conseil des droits de l'homme, ou du Secrétaire général.
Préconiseraient la présence d'un Rapporteur spécial sur les droits de l'homme au Cameroun, par l'intermédiaire de l'ONU ou de l'UA.
Envisageraient des sanctions ciblées contre les membres des forces de sécurité et des chefs de file séparatistes, y compris au sein de la diaspora, complices ou auteurs d'attaques contre des civils.
POUR L'UNION AFRICAINE
Que le Conseil de paix et sécurité (CPS) de l'Union africaine ajoute le Cameroun à son ordre du jour et recoure à tous les outils préventifs possibles, notamment, entre autres, la participation du Groupe des Sages à la crise anglophone.
Que le CPS demande un compte-rendu mensuel sur la crise dans le cadre de leur Système continental d'alerte rapide, qui serait suivi d'actions adaptées à la situation en fonction des alertes reçues.
Qu'un Envoyé spécial soit désigné afin de faciliter le dialogue entre le gouvernement camerounais et les groupes séparatistes, tout en s'assurant que la société civile et les communautés touchées soient représentées.
Qu'une Commission d'enquête de l'Union africaine soit engagée si le gouvernement ne parvient pas à lancer sans délai une enquête crédible et exhaustive sur les crimes et les atrocités.
Que la crise soit envisagée à travers le prisme du point 2 de la Feuille de route principale de l’union africaine sur les étapes pratiques pour faire taire les armes d’ici 2020, à savoir l'« examen des cas de dénis de signaux d'alerte rapide concernant des crises imminentes. »
INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES
BOKO HARAM DANS L'EXTRÊME-NORD
Alors que l'attention médiatique, politique et militaire se porte de plus en plus sur la crise anglophone, les civils de l'Extrême-Nord craignent qu'on les abandonne. Depuis au moins 2014, Boko Haram les prend pour cible. C'est cette même année que le gouvernement leur déclare la guerre. La crise a causé la mort de 2 000 civils et déplacé près de 300 000 Camerounais.
Les tactiques du gouvernement ont quelque peu neutralisé les menaces que pose Boko Haram, non sans conséquences. Les forces du gouvernement auraient commis de considérables violations des droits humains sous la forme d'exécutions arbitraires, de torture et d'arrestations. Tous les civils du Cameroun doivent être protégés contre les risques d'atrocités.
L'ÉPIDÉMIE DE COVID-19 AU CAMEROUN
Au moment où nous écrivons ces lignes, le Cameroun compte le nombre de cas de COVID-19 le plus élevé d’Afrique centrale. Les civils vivant dans les zones de conflit, notamment les déplacés internes à cause de la crise anglophone, soit près de 700 000 personnes, sont particulièrement exposés au virus. Dans les régions anglophones, 34 % des établissements sanitaires sont peu ou pas fonctionnels à cause de la crise anglophone. D'autre part, des attaques visant les personnels de santé par les forces de sécurité et les séparatistes armés ont réduit leur présence sur place. Enfin, on doit s’attendre à ce que l'aide humanitaire soit bloquée par l'état d'urgence, les barrages routiers et les postes de contrôle mis en place par les séparatistes et les forces de sécurité.
Il reste encore à déterminer l'impact que la pandémie de COVID-19 va avoir sur la dynamique de la crise anglophone. Si en mars 2020, un groupe séparatiste a déclaré un cessez-le-feu en réponse à la situation sanitaire, ni le gouvernement ni d'autres groupes ne leur ont emboîté le pas. Les attaques contre des civils, que ce soit par les forces de sécurité ou des séparatistes armés seraient toujours en cours. L'épidémie de COVID-19 détournant l'attention, les régions anglophones étant inaccessibles aux observateurs internationaux et aux journalistes, les attaques contre les civils, qui ont pris de l’ampleur, pourraient être étouffées ou ne pas bénéficier d'une couverture médiatique suffisante. Il faudrait que les forces de sécurité et les groupes armés séparatistes réagissent en mettant fin à ces exactions et en participant à des délibérations pacifiques et négociées sur la crise anglophone.
NOTES
(i) Le 26 mars 2020, l'un de ces groupes séparatistes armés déclare un cessez-le-feu en raison de la pandémie de COVID-19. Au moment où nous écrivons ces lignes, aucun autre groupe ne l'a suivi. « Cameroon rebels declare coronavirus ceasefire, » BBC, 26 mars 2020, https://www.bbc.com/news/world-africa-52053738.
(ii) Le Global Centre for the Responsibility to Protect affirme que les attaques de groupes armés séparatistes et des forces de sécurité qui persistent contre les civils pourraient constituer des crimes contre l'humanité. Un rapport du Centre for Human Rights and Democracy in Africa et du Raoul Wallenberg Centre for Human Rights conclut que l'on peut raisonnablement penser que des crimes contre l'humanité ont été commis au Cameroun. « Cameroon », Global Centre for the Responsibility to Protect, 12 mars 2020, https://www.globalr2p.org/countries/cameroon/ ; « Cameroon’s Unfolding Catastrophe : Evidence of Human Rights Violations and Crimes against Humanity », Centre for Human Rights and Democracy in Africa et le Raoul Wallenberg Centre for Human Rights (2019): 6, https://chrda.org/wp-content/uploads/2019/06/Cameroons-Unfolding-Catastrophe-CHRDA-RWCHR-2019.pdf.
(iii) Une enquête de Human Rights Watch a déterminé que les forces gouvernementales et des membres armés de l'ethnie Fulani ont abattu « au moins 21 civils […] dont 13 enfants et une femme enceinte » dans le massacre de Ngarbuh. D'après l'ONU, les attaques ont coûté la vie à 23 civil dont 15 enfants. « Cameroun : Massacre de civils dans la région séparatiste », Human Rights Watch, 25 février 2020, https://www.hrw.org/fr/news/2020/02/25/cameroun-massacre-de-civils-dans-la-region-separatiste ; « Cameroon : UN officials raise alarm over escalating violence, call for civilian protection », UN News, 21 février 2020, https://news.un.org/en/story/2020/02/1057881.
(iv) D'après un article paru en mai 2019 dans Foreign Policy, on dispose d'un nombre croissant de preuves selon lesquelles des unités soutenues par les États-Unis auraient effectivement été réaffectée par le gouvernement de Biya pour mettre fin à la crise anglophone. Gareth Brown, « Cameroon’s Separatist Movement is Going International », Foreign Policy, 13 mai 2019, https://foreignpolicy.com/2019/05/13/cameroons-separatist-movement-is-going-international-ambazonia-military-forces-amf-anglophone-crisis/.